V - GUERRE ET APRES – GUERRE
1939 - 1952
En
septembre 1939, l’activité économique s’écroule.
La consommation annuelle de sable qui s’élevait encore à
4 millions de tonnes en 1937 et 1938 chute à 2 millions en 1939.
Elle ne dépassera pas 2,5 millions annuels jusqu’en 1945.
René Piketty et Pierre Piketty sont mobilisés et Robert
de Courcel accepte de reprendre temporairement la présidence du
conseil d’administration. Les bureaux du siège social et
les archives commerciales sont transférés du quai Henri
IV à Paris aux Ateliers de Vigneux. En juin 1940, les activités
industrielles et commerciales sont complètement interrompues.
Pierre
Piketty est prisonnier de guerre mais René Piketty peut, en août
1940, reprendre la direction de la Compagnie. Celle-ci se heurte au manque
de carburant, à la réquisition et la dispersion d’une
notable partie de sa flotte, au blocage de la navigation par les nombreux
ponts écroulés.
Disposant
d’importants moyens de levage (grues flottantes, bigues), la C.S.S.
est chargée du relevage des tabliers de plusieurs ponts (Ris-Orangis
-photo-ci-contre -, Villeneuve-Saint-Georges, Mantes et Fontaine-le-Port)
et du dégagement du lit de la Seine. La sablière de Rouen
est rapidement remise en exploitation ; les ateliers entreprennent la
remise en état des bateaux que l’on a pu récupérer
(5 bateaux de la S.S.S. ont été coulés et 10 réquisitionnés
par les autorités allemandes). Grâce à ces actions
énergiques, le bilan de l’exercice 1940 peut quand même
être bénéficiaire, après la lourde perte enregistrée
en 1939.
Nous
manquons d’informations précises sur la manière dont
la C.S.S. a fait face à la situation difficile des années
d’occupation, le registre des délibérations du conseil
d’administration de 1941 à 1946 ayant disparu. Le marché
de la construction est extrêmement réduit bien que, en Normandie,
les travaux du Mur de l’Atlantique (photo ci-contre) nécessitent
d’importants besoins en matériaux (donnant naissance aux
blockhaus dont nous constatons encore la présence le long des côtes).
La
C.S.S. fait ce qui est en son pouvoir pour maintenir son existence et
préserver son personnel. Des techniciens, embauchés juste
avant la guerre et aujourd’hui à la retraite, se souviennent
encore des interventions auprès des autorités du directeur
général, M. Boisseau, ou de M. Martin, directeur des ateliers,
pour leur éviter le départ en Allemagne au titre du S.T.O.
(service du travail obligatoire).
Un
drame frappe la famille Piketty et la Compagnie deux mois avant la libération
de Paris. Le président René Piketty, qui exerce d’importantes
responsabilités dans un mouvement de résistance de Paris
et sa banlieue sud-est, est arrêté le 4 juin 1944 et déporté
aux camps de Buchenwald, puis de Bergen-Belsen. Il survit, revient très
affaibli en mai 1945 mais pourra bientôt reprendre ses activités,
à l’âge de 57 ans. Sa liste perd les élections
municipales de Grigny en avril 1946 et il se consacre à la direction
de la C.S.S. dont l’activité est relancée en 1946
par l’enlèvement d’un volume important de déblais,
400.000 m3, en relation avec les destructions dues à la guerre.
Ce
volume se maintiendra entre 250.000 et 300.000 m3 durant les trois années
suivantes. Les ventes de matériaux reprennent progressivement et
atteignent en 1948 le chiffre record de 850.000 m3, qui était celui
de 1934, la meilleure année d’avant-guerre. Le président
souligne avec satisfaction que la part de la C.S.S. sur le marché
parisien, qui était de 21 % en 1934 et avait chuté à
16 % en 1938, atteint 28 % en 1948. La Compagnie a cependant de gros besoins
en capitaux car elle doit renouveler une grande partie de son matériel
d’exploitation, obsolète ou détruit durant la guerre.
Elle achète en Hollande un élévateur très
moderne, ‘‘L’Hercule’’, et entreprend la
construction aux ateliers de Draveil d’une très grosse drague,
‘‘La Calypso’’, destinée à remplacer
‘‘La Pénélope’’ à bout de
souffle.
Cependant
le grand souci de la Compagnie est la disponibilité de terrains
à exploiter, au plus près des chantiers de construction
de la région parisienne. Elle dispose de 60 ha à Choisy-le-Roi
mais doit en céder 40 à Gaz de France pour l’installation
d’une cokerie et ne pourra en exploiter que 20, après construction
d’un port intérieur.
Elle
fait l’acquisition d’un port intérieur et d’une
carrière à Oissel, en amont de Rouen, ce qui va lui permettre
de fournir les matériaux pour la reconstruction des villes du Havre
et de Rouen (photo ci-contre). La négociation de surfaces importantes
à Gennevilliers est en cours. L’exploitation de Grigny se
poursuit encore quelque peu et les terrains de Vigneux, berceau de la
Compagnie, sont en voie d’épuisement.
Robert
de Courcel propose de mettre en fortage 18 ha situés dans le parc
de sa propriété de Port-Courcel, dont le château a
été fortement détérioré du fait de
son occupation par les troupes allemandes et par les combats de la Libération.
La riche bibliothèque de Robert de Courcel a subi des pertes inestimables.
Le président Piketty, en informant les administrateurs de l’opération
de fortage, écrit : « Vous mesurerez sans aucun doute
l’importance
du nouveau service que rend ainsi Monsieur de Courcel à la Compagnie
des Sablières de la Seine au mépris des inconvénients
que peut présenter pour lui une telle exploitation ». Peu
à peu, la C.S.S. reconstitue un stock de réserves foncières,
qui atteindra 7.000 ha, garantie de la pérennité de son
activité future.
Poursuivant
ses efforts de diversification, la C.S.S. participe à la constitution
d’une société d’exploitation de carrières
de pouzzolanes dans le centre de la France, près de Clermont-Ferrand.
La pouzzolane est une pierre volcanique poreuse et de faible densité,
très appréciée en construction pour ses qualités
d’isolation thermique et phonique.
Par
augmentations de capital successives, la C.S.S. deviendra le principal
actionnaire de la Société d’Exploitation des Carrières
du Centre, exploitant des carrières de pouzzolanes. La production
de pouzzolanes se poursuivra une dizaine d’années mais n’atteindra
pas le niveau escompté malgré les efforts de la C.S.S. pour
diffuser son emploi. Une autre activité est également filialisée
: l’exploitation des dépôts de matériaux le
long des rives de la Seine, sous le nom de Société d’Exploitation
des Ports de Détail.
1 - La situation financière
En
raison des dévaluations liées à la guerre, une réévaluation
des actifs et l’intégration de réserves porte, en
1946, le capital social de la C.S.S. à 100.687.500 francs. Elle
fait l’acquisition de son siège social historique du 2 quai
Henri IV et achète le terrain contigu du n°4 pour s’agrandir
par la suite. Les bureaux et ateliers de Draveil, puis ceux de Vigneux
font l’objet d’importants travaux de réhabilitation.
Le premier exercice d’après-guerre pour lequel nous possédons
des chiffres précis concerne l’année 1948. Le chiffre
d’affaires s’élève à 463 millions de
francs et a permis de dégager un bénéfice de 18,3
millions, dont 5 millions seulement seront distribués, afin de
constituer des réserves. Car la société a fait des
emprunts et émis des obligations pour relancer ses activités
et ses charges financières s’élèvent à
7,5 millions. En septembre 1949, le capital social est doublé par
prélèvement sur les réserves spéciales.
2 -
Le climat social
Que
ce fût en 1908 ou en 1937, la direction de la C.S.S. n’avait
pas brillé par sa fibre sociale. Il s’agissait d’ailleurs
d’une attitude tout à fait courante dans le patronat de l’époque
et particulièrement dans le milieu du bâtiment et des travaux
publics. L’année 1945 voit la création des comités
d’entreprise et l’adoption de nombreuses lois sociales (Sécurité
Sociale, Allocations Familiales, etc.). Dès 1949, on peut constater
une importante évolution des relations sociales au sein de la C.S.S.
Chaque année, lors de l’assemblée générale
des actionnaires, le président se félicite de la qualité
des relations entretenues entre la direction et le comité d’entreprise.
Il souligne la lutte menée contre les accidents de travail, encore
trop nombreux, et l’action des comités de sécurité.
Lors
de la mise en service de l’élévateur ‘‘Hercule’’,
il ne manque pas de faire remarquer qu’une ‘‘place
particulière a été faite à la sécurité,
aux conditions de travail et au confort de l’équipage’’,
remarques qui auraient été inimaginables avant la guerre.
Le président signale également le rôle du service
médico-social et le développement de l’apprentissage
dans les ateliers de Draveil et Vigneux. Il souligne cependant le poids
des charges sociales patronales qui atteignent, déjà à
cette époque, 41 % des salaires et il calcule qu’elles représentent
90.000 francs pour chacun des 500 employés de la C.S.S. On observe
que l’évolution des esprits est encore lente puisque cette
somme est présentée comme un salaire qui aurait été
soustrait aux ouvriers, sans mettre en parallèle les avantages
qu’ils en retirent (protection maladie, retraite, accidents du travail,
. . ).
Parmi
les dirigeants de la C.S.S., un homme joue à cette époque
un rôle important, notamment dans le domaine de la direction du
personnel. Il s’agit de Robert Bourgeois, ancien officier de marine,
nommé directeur en 1945, directeur général en 1951
en remplacement de Léon Boisseau, et administrateur-directeur général
en 1956.
Au
début des années 1950, l’effectif est de près
de cent personnes à l’atelier de Draveil où s’effectue
la construction des coques, - chaudronniers, soudeurs, charpentiers, encadrés
par un directeur, deux contremaîtres et une secrétaire -,
et de près de deux cent cinquante personnes à l’établissement
de Vigneux où, à proximité des ateliers d’entretien
et de réparation, se trouvent les services de gestion du personnel
et de l’exploitation, le service des achats, le bureau d’études,
les bureaux technique et de préparation, l’infirmerie, la
mutuelle, etc. L’atelier de Draveil était installé
sur une île de la Fosse-aux-Carpes et, chaque jour, les employés
devaient prendre une barque pour se rendre à leur travail. Ce n’est
qu’en 1950 qu’une digue sera édifiée pour faciliter
l’accès. Une sécheresse exceptionnelle marque l’été
1949 et frappe la production agricole, si bien que le conseil d’administration
« considérant les difficultés que cette situation
risque d’occasionner pour le ravitaillement au cours des prochains
mois, décide d’acquérir une quantité de pommes
de terre pour les distribuer gratuitement à chaque membre du personnel
à raison de 100 kg ».
En
ces années d’après-guerre, la crise du logement est
particulièrement grave et le gouvernement institue la taxe de 1
% sur les salaires pour la construction de logements sociaux. Dans le
cadre de cette loi, la C.S.S. décide d’édifier trente-trois
pavillons pour son personnel à Draveil. L’emplacement choisi
se trouve sur la partie des terrains de la Compagnie la plus éloignée
de la Seine et la plus élevée pour protéger les maisons
des inondations, le long de deux voies qui seront créées
à cet effet : la rue des Sablières et la rue des Graviers.
Les pavillons de quatre pièces, tous identiques, seront disposés
en épi pour éviter la monotonie, élevés sur
sous-sol, et construits en . . . pouzzolanes, bien entendu. Un demi-siècle
plus tard, ces pavillons, acquis par le personnel de la C.S.S. en location-vente
et encore habités pour certains par des retraités de la
C.S.S., constituent toujours un ensemble harmonieux et de qualité
(photo ci-contre). Par la suite, la C.S.S. édifiera à Vigneux
des logements pour ouvriers célibataires et, à Draveil,
un ‘‘bâtiment social comportant réfectoire, douches,
lavabo et vestiaires’’.
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