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VI - LES VINGT GLORIEUSES 1952 - 1972

  A partir de 1950, la Compagnie des Sablières de la Seine, connaît un développement considérable. De la région de Rouen jusqu’à la vallée de l’Yonne, elle multiplie les chantiers pour accompagner la croissance des constructions de logements dans la région parisienne. C’est l’époque des grands ensembles.

  Les terrains de Vigneux et Grigny sont épuisés et la Compagnie exerce la majeures partie de son activité de dragage dans la région de Rouen (Venables), à Gennevilliers, à Choisy-le-Roi et exploite des sablières terrestres à Valenton, au Carrefour Pompadour et à Mesly, près de Créteil. A Créteil, la C.S.S rachète l’entreprise des Sablières Alba dont elle confie la direction à un jeune ingénieur embauché en 1951, Jean-Pierre Hébré (dont nous retrouverons le nom).

  L’activité de remblayage s’effectue essentiellement sur les fouilles de Vigneux, concédées en fortage et qui doivent être restituées à leurs propriétaires, tandis que les fouilles de Grigny et de Draveil restent en eau, jusqu’à ce que des décisions soient prises sur leur destination future.

Cliquez pour agrandir  La C.S.S. estime que le rythme de la reconstruction n’est pas assez soutenu et, avec l’ensemble des entreprises du secteur et l’abbé Pierre, fait pression sur le Ministère de la Reconstruction et du Logement pour que s’amplifient les programmes de logements.

  Le conseil s’inquiète ‘‘de l’importance sans cesse croissante de nos charges fiscales, de nos frais financiers et de la modicité de la rémunération des capitaux engagés’’. A partir de 1955, l’activité explose : construction de l’aéroport d’Orly (photo ci-contre), début des travaux de l’autoroute du Sud qui traverse des terrains appartenant à la Compagnie, grands ensembles, si bien que la société ‘‘a du mal à répondre à la demande’’.

  En juin 1956, le capital de la C.S.S. est porté à 965.600.000 francs par intégration de 681.600.000 francs de réserves, puis à 1.159.790.000 francs par apport-fusion des filiales (Services des Sablières de la Seine, Société d’Exploitation des Ports de Détail) et apport-scission de la Société des Carrières du Centre (les pouzzolanes), capital divisé en actions de 10.000 francs. Le site sur lequel sont édifiés les ateliers de Vigneux, appartenant à la famille de Courcel, est acquis en octobre 1956 moyennant l’émission de 2.285 actions nouvelles de la C.S.S. La situation financière ainsi apurée permet l’émission d’une augmentation de capital en numéraire, souscrite en un mois et portant le capital à 1.331.150.000 francs (qui deviendront 13.311.500 nouveaux francs en 1960).

Cliquez pour agrandir  Les Français retrouvent la joie de vivre, les touristes se précipitent à Paris. Les bateaux-mouches, supprimés en 1939, sont remis en service sur la Seine ; le fleuron de leur flotte est la vedette ‘‘Le Borde-Frétigny’’ (photo ci-contre) sur laquelle la jeune reine Elisabeth II, pour sa première visite officielle en France, parcourt en soirée la Seine illuminée de feux d’artifice, en compagnie du Président René Coty, tandis que plus d’un million de Parisiens se pressent sur les berges.

  Le mois suivant, en juin 1956, l’assemblée générale des actionnaires de la C.S.S. se tient à bord du Borde-Frétigny loué pour l’occasion et qui, de Vigneux à Mantes, visite les différents sites exploités par la compagnie. De nombreux retraités de la C.S.S. ont conservé le souvenir de cette journée !

  Jusque-là, les compagnies de navigation fluviale françaises utilisaient soit des bateaux automoteurs, dont l’exploitation était coûteuse, soit des barges remorquées dont la conduite était hasardeuse. Dans les années 1950 apparaît aux Etats-Unis, sur la grands fleuves, la technique du poussage : elle consiste à assembler des barges d’une manière rigide et de les propulser avec un pousseur de forte puissance. Au point d’arrivée, les barges sont dissociées et regroupées selon leurs destinations finales, sans transfert de leur contenu. L’économie de temps et de moyens est considérable.

Cliquez pour agrandir  La C.S.S. charge Robert Bourgeois et Jean-Pierre Hébré d’adapter cette technique à la navigation fluviale française. Leur étude aboutit à la construction du premier pousseur français, ‘‘Le Tourville’’, qui est présenté le 27 septembre 1957 au président de la République (toujours René Coty) et au ministre des Travaux Publics lors de l’inauguration du Salon nautique de Paris : « La construction a été réalisée dans un délai très court puisque le matériel, conçu au cours du 4ème trimestre 1956, n’a été commencé qu’en 1957. La coque du pousseur, vide de tous ses éléments et sans les superstructures et logements, a été mise à l’eau le 11 juillet 1957, les premiers essais ont eu lieu le 21 septembre et ont été pleinement satisfaisants. Ils seront poursuivis après l’achèvement du Salon nautique. Le deuxième pousseur est en cours de construction ; celle des barges se poursuit ».

  La technique du poussage révolutionne le monde de la navigation fluviale et s’impose rapidement comme le plus économique et le plus sûr des moyens de transport. L’assemblée générale des actionnaires 1958 aura lieu à bord du ‘‘Tourville’’, en navigation sur la Seine. L’Atelier de Draveil se spécialise dans la fabrication des barges, certaines longues de 50 m., puis de plus courtes, 33 m., mieux adaptées à la technique du poussage. Il en produira plus de 150, à un rythme qui atteindra jusqu’à deux par mois.

  René Piketty quitte la présidence de la C.S.S. le 31 décembre 1960, alors que la Compagnie effectue son entrée en bourse. Il est remplacé par son cousin issu de germain Pierre Piketty qui, depuis son entrée dans la société en 1934, s’est longuement préparé à cette tache. L’alternance se poursuit puisque la présidence passe des mains d’un petit-fils d’Eugène Piketty à celles d’un petit-fils d’Ernest Piketty. Mais, du fait de l’entrée en bourse, le capital se dilue, l’action C.S.S. devenant un titre de ‘‘père de famille’’, recommandé par les gestionnaires de patrimoine.

Le ‘‘Centenaire’’ de 1964

  En 1964, la C.S.S. célèbre son ‘centenaire’ en publiant une superbe plaquette d’une quarantaine de pages rappelant son histoire et présentant ses activités. Il s’agit d’une initiative du président Pierre Piketty pour commémorer la fondation par son grand-père et son grand-oncle de leur première entreprise de dragage en 1864, sous le nom Piketty frères. En fait, le nom de Compagnie des Sablières de la Seine et le sigle C.S.S. n’ont été créés qu’en 1906 et c’est en 2006 que la Compagnie pourra célébrer son premier siècle effectif d’existence.

Cliquez pour agrandir  Cependant, la plaquette de 1964 donne une image très complète et précise de la situation de la C.S.S., leader du marché des granulats dans la vallée de la Seine. Cette même année 1964, la C.S.S. crée une nouvelle filiale nommée ‘‘Le Béton de Paris’’, spécialisée dans la fourniture de béton prêt à l’emploi.

  En effet, selon une technique venue des Etats-Unis, le béton n’est plus produit sur les chantiers de construction, avec tous les aléas de qualité qui peuvent en résulter, mais de manière industrielle dans des centrales à béton - installées près des dépôts de sable, graviers et ciment -, puis transporté sur les chantiers par des camions-toupies en flux tendu, au fil des besoins.

  Cette filiale de la C.S.S. occupe bientôt une place importante sur le marché : de 200.000 m3 en 1965, sa production passera à 600.000 m3 en 1968. En conclusion de la plaquette de 1964, le président Pierre Piketty peut déclarer avec fierté :
« Cent ans ont passé. Malgré trois guerres, une grave crise économique, la C.S.S. a poursuivi son développement et son expansion. Produisant davantage, transportant plus loin, multipliant les qualités offertes, développant son service de ventes, elle s’efforce de suivre et même de précéder les besoins de sa clientèle d’entreprises du bâtiment et de travaux publics.
C’est dans cet esprit qu’elle entreprend la vente de béton prêt à l’emploi. La perspective des besoins de la région parisienne l’encourage à poursuivre et à développer son action. À 100 ans, la Compagnie des Sablières de la Seine ne s’est jamais sentie si jeune
».

  À la fin des années 1960, la C.S.S. est une entreprise dynamique, ayant une grande expérience de son marché et à laquelle son personnel manifeste un fort attachement. A la Bourse de Paris, son action retient l’intérêt des grands investisseurs. Toutefois son activité, limitée au bassin de la Seine, est un peu étroite et peut faire craindre une OPA. En juin 1970, une assemblée générale extraordinaire décide, en application de la loi du 24 juillet 1966, de séparer les fonctions de représentation du capital et de direction opérationnelle en adoptant une structure comportant un conseil de surveillance et un directoire de trois membres. Pierre Piketty devient président du Conseil de surveillance et la présidence du directoire est assurée par Robert Bourgeois, auquel succèdera en 1973 Jean-Pierre Hébré.

VII - L’ARRIVÉE DE LAFARGE 1972-1974

Cliquez pour agrandir  Développant ses activités d’extraction et de transport, la C.S.S. s’associe avec la Société des Ciments Lafarge, leader du marché du ciment, dont les activités sont complémentaires de la sienne. Lafarge est une entreprise dont l’origine remonte à 1833 et dont le développement international a commencé avec la construction du canal de Suez (photo ci-contre).La société Lafarge confie à la C.S.S. l’exploitation des sablières dont elle est propriétaire, cède au ‘‘Béton de Paris’’ sa filiale de béton prêt à l’emploi et prend une participation de 20 % dans le capital de la C.S.S., disposant de ce fait de trois sièges à son Conseil de surveillance.

A partir de 1974, la crise du marché immobilier pèse lourdement sur les résultats de la compagnie. Sa capitalisation boursière baisse alors que, grâce à la sage politique d’investissement de ses dirigeants, elle dispose d’actifs importants. Pour éviter une OPA hostile, Lafarge lance une offre pour porter sa participation à 33 % du capital de la C.S.S. et disposer d’une minorité de blocage. Le résultat dépasse ses espérances puisque, de nombreuses actionnaires apportant leurs actions, Lafarge se retrouve propriétaire de 64 % de la Compagnie. L’indépendance de celle-ci est compromise.

  En 1978 et 1980, les Ciments Lafarge, devenus Lafarge-Coppée, lancent une offre publique d’échange des actions C.S.S. et deviennent propriétaire de 96 % de la compagnie. Le conseil de surveillance devenant inutile, la C.S.S. reprend le statut de société à conseil d’administration, dont Jean-Pierre Hébré devient le président directeur général, Pierre Piketty s’étant retiré en 1976. Ayant conservé son identité, la C.S .S. constitue depuis lors le noyau de la division ‘‘Granulats et Béton’’ du groupe Lafarge, aujourd’hui l’un des leaders mondiaux du marché des matériaux de construction et le premier cimentier mondial, structuré en quatre branches : Ciment, Granulats et Béton, Toiture, Plâtre.

VIII - LA FIN DES ATELIERS 1975 – 1984

Cliquez pour agrandir  La crise économique, consécutive au conflit du Moyen-Orient, perturbe à partir de 1973 l’activité de la compagnie. La pénurie de carburant, réduisant la production d’énergie, entraîne l’écroulement du marché de la construction et de celui des matériaux. A la C.S.S., les ateliers sont particulièrement affectés par la crise. L’atelier de Draveil est le premier menacé du fait de l’absence de besoins en matériels neufs.

  La compagnie tente d’assurer sa survie en entreprenant la construction de house-boats, bateaux de tourisme fluvial, puisque les canaux attirent de plus en plus de vacanciers. Mais cette activité n’est pas suffisamment importante pour être rentable. L’activité de construction de l’atelier de Draveil cesse en 1976, la plus grande partie de son personnel étant muté à Vigneux ( photo ci-dessus) ou mis en préretraite. Malgré la difficulté physique du travail de construction navale et les risques d’accident, un climat de profonde chaleur humaine régnait dans ces ateliers et leur fermeture est rudement ressentie.

  La nostalgie de cette époque transparaît dans les propos des « retraités des sablières » que l’on rencontre dans les rues de Draveil et de Vigneux. Les activités de réparation sont elles-mêmes menacées car l’éloignement des chantiers d’exploitation rend le retour jusqu’à Vigneux des matériels à réparer de plus en plus coûteux. Les déplacements depuis Draveil ou Vigneux des techniciens de maintenance sont également longs et onéreux. La société réfléchit donc à une modification de son organisation et à une réduction de ses moyens industriels propres.

Cliquez pour agrandir  En février 1977, 113 licenciements aux ateliers de Vigneux réduisent l’effectif à 140 personnes. En juin 1977, 93 ouvriers sont mis en chômage technique partiel. Les projets de reconversion des ateliers (on parle de la fabrication de câbles électriques) n’aboutissent pas et les ateliers de Vigneux ferment définitivement leurs portes en décembre 1979, fermeture mettant fin à une aventure industrielle qui avait marqué la région pendant plus d’un siècle.

  La population de la commune subit rudement le choc et le maire écrit dans le bulletin municipal : « Depuis 1864, Vigneux a vécu l’exploitation des sablières. Exploitation de l’extraction de sable, mais aussi exploitation des hommes. Le souvenir des grèves des carriers en 1908 et de leur répression sanglante reste vivace à Vigneux. Depuis l’ouverture du premier chantier jusqu’à nos jours, ce sont des centaines d’hectares du sol de Vigneux qui ont ainsi été fouillés et qui ont fait la richesse de la Compagnie des Sablières ». Le site de Vigneux sera rapidement réutilisé puisqu’une entreprise de récupération prendra possession des bâtiments et les adaptera à ses besoins, tandis que la darse sera transformée en port de plaisance, accueillant à l’année des bateaux privés (photo ci-dessous).

Cliquez pour agrandir  Une activité d’entretien et de maintenance, employant vingt-cinq personnes, est maintenue à l’atelier de Draveil sous la direction de Claude Capy, entré à la C.S.S. en 1958 comme agent d’ordonnancement et électricien, devenu ingénieur en suivant les cours du Conservatoire des Arts et Métiers.

  A son tour, l’atelier de Draveil ferme définitivement ses portes le 31 décembre 1984. Le terrain est laissé à l’état de friche industrielle. Le lieu-dit La Fosse aux Carpes et le plan d’eau où s’effectuait le lancement des coques deviennent le domaine des pêcheurs. La nature y reprend ses droits, la flore se développe, les oiseaux migrateurs qui suivent le cours de la Seine y font étape ou y nidifient. Le terrain devient propriété de l’Agence Foncière et Technique de la Région Ile-de-France qui veille à sa préservation et prépare son aménagement dans le respect des principes de l’écologie.

- Les Présidents de la Compagnie des Sablières de la Seine -

1906-1906 Charles PIKETTY
1906-1919 Paul PIKETTY
1919-1928 Louis LENERU
1928-1933 Robert DE COURCEL
1933-1934 Henri NOBLE
1934-1935 Paul PIKETTY
1935-1960 René PIKETTY
1961-1970 Pierre PIKETTY
1970-1973 Pierre PIKETTY (C.S.) et Robert BOURGEOIS (Directoire)
1973-1976 Pierre PIKETTY (C.S.) et Jean-Pierre HEBRE (Directoire)
1977-1979 Guillaume DE COURCEL (C.S.) et Jean-Pierre HEBRE (Directoire)
1979-1983 Jean-Pierre HEBRE, Président Directeur Général


Remerciements :

  Malgré les importants changements structurels que La Compagnie des Sablières de la Seine a connus depuis vingt-cinq ans, les registres des délibérations de son conseil d’administration, sauf un, ont été conservés en archives. Je remercie vivement Monsieur Patrice Lucas, actuel président-directeur général de la Compagnie des Sablières de la Seine, d’avoir bien voulu m’autoriser à les consulter, mettant personnel et local à ma disposition.
  Mes remerciements vont également à Madame Caroline Piketty - petite-fille de René Piketty -, conservateur à la section du XXe siècle aux Archives nationales, qui m’a communiqué l’arbre généalogique et de nombreuses informations concernant sa famille, à Monsieur Gérard Piketty -petit-fils de Maurice Piketty -, ingénieur du corps des Mines, ancien directeur au ministère de l’Industrie et président de nombreuses sociétés dans le domaine de l’énergie, qui a bien voulu me parler des activités industrielles de sa famille.
  Je remercie particulièrement Monsieur Claude Capy, dernier directeur de l’atelier de Draveil, qui, après une carrière de vingt-six ans à la C.S.S. riche en promotions, est devenu responsable de la sécurité de Lafarge Béton Granulats, avant de prendre sa retraite en 1993. Je pense aussi à J., secrétaire aux ateliers de Draveil et Vigneux de 1947 à 1982, qui conserve, dût sa modestie en souffrir, un remarquable souvenir de cette aventure industrielle, ainsi qu’à tous les anciens employés et ouvriers de la C.S.S. qui ont accepté de me parler de leur vie professionnelle.

Jacques MACE               

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