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Deuxième partie

Cliquez pour agrandir      Le mardi 2 juin 1908, vers 08h30, les gendarmes Jean Bréfort et Jules Villette, de la brigade de Draveil, escortent quatre tombereaux qui transportent du sable à Montgeron. Ils sont assaillis par deux cents grévistes qui coupent les harnais des chevaux et renversent les tombereaux; le gendarme Villette est frappé.

     En début d'après-midi, sous une chaleur accablante, Villette croit reconnaître son agresseur devant un chantier de Vigneux : aussitôt, un groupe de quatorze gendarmes, commandés par le Maréchal des Logis Turc, se lance à sa poursuite. Mais le fuyard les distance et pénètre dans la véranda du restaurant Ranque où de nombreux grévistes sont réunis. Furieux, les gendarmes pénètrent dans la véranda: ils se font huer et refouler par les ouvriers présents. Pour se dégager, quelques gendarmes tirent, en l'air vraisemblablement.

     Mais, d'après les témoins, il semble qu'au moins un gendarme ait fait le tour de la salle pour chercher une autre entrée ou empêcher la fuite d'individus par l'une des trois fenêtres donnant sur l'allée Alphonse Daudet. Selon les grévistes, des coups de feu sont tirés de l'extérieur à travers l'une des fenêtres, tuant un homme d'une balle en plein cœur et blessant mortellement un autre d'une balle dans le crâne. Les gendarmes s'enfuient en s'abritant derrière les arbres et en tiraillant, tandis que l'on relève également une dizaine de blessés. C'est la bavure policière dans toute son horreur. L'émotion est intense. L'événement fait le lendemain la une de l'Humanité. Toute la presse en parle.
L'Humanité
Le Matin
Le Petit Journal
     Les autorités laissent entendre que des coups de feu ont également été tirés par les grévistes et nient le tir à travers la fenêtre. L'enquête officielle confirmera le tir par la fenêtre et le fait qu'aucun gréviste n'était armé. Les deux victimes se nomment:
- Pierre Le Foll, 48 ans, de Villeneuve-Le-Roi, ouvrier charpentier, veuf et père de trois enfants. La presse écrira Lefol.
- Emile Geobellina, 17 ans, terrassier, dont le père est lui-même terrassier et dont la mère tient un débit de vin en face de la gare de Villeneuve-Saint-Georges.
Une semaine agitée

Jeudi 4 juin

     A Paris, se déroule le transfert des cendres d'Emile Zola au Panthéon, au cours duquel un coup de feu est tiré sur le Commandant Dreyfus. Les obsèques de Pierre Le Foll sont célébrées au cimetière de Villeneuve-le-Roi, en présence d'une nombreuse assistance (10000 à 15000 personnes).

     Des discours violents y sont prononcés. Des troubles éclatent ensuite devant l'entreprise Morillon-Corvol où le Sous-Préfet de Corbeil, M. Emery, se fait arracher son écharpe et le Capitaine de gendarmerie Belin est légèrement blessé.

     Les grévistes sont déjà dépassés semble-t-il, par des étrangers à leur mouvement, venus de Paris, notamment des groupes anarchistes que l'on retrouvera dans tous les incidents ultérieurs.

Vendredi 5 juin

Cliquez pour agrandir      Le matin, obsèques du jeune Geobellina au cimetière de Villeneuve-Saint-Georges, en présence de 5000 personnes, dans le calme et le dignité.

     Cependant, des troubles se produisent ensuite en bord de Seine à Vigneux. Une drague, dont les amarres ont été coupées, part à la dérive. Les soldats du 23ème Dragons de Versailles, que le Gouvernement vient de transférer à Villeneuve et Montgeron, interviennent en force. En fin d'après-midi, des manifestants établissent un << péage >> sur la Nationale 5 et rançonnent les automobilistes au profit de la caisse de grève. Les récalcitrants voient leurs pneus crevés et leurs capotes lacérées.

Samedi 6 juin

     Editorial de Paul Lafargue intitulé << Les Profiteurs du crime >> à la Une de l'Humanité, dont nous extrayons :
<< Il fallait donc briser cette grève pacifique par un coup de force. Le Sous-Préfet machina l'affaire, chauffa les gendarmes, qu'il avait trouvés trop mous, trop conciliants et les lança. C'est lui l'organisateur du meurtre, avec la complicité des autres autorités et magistrats de la région. Ils obéissaient aux ordres des patrons de toute industrie qui, à Corbeil, à Essonnes et aux alentours nourrissent une haine féroce contre les ouvriers qui les enrichissent et qu'ils exploitent sauvagement. >>

     Meeting à Paris, au Manège Saint-Paul, organisé par la Fédération du Bâtiment : celle-ci prend en main l'exploitation de l'affaire et appelle à venger les victimes de Vigneux.

     Les députés de l'arrondissement de Corbeil, clémencistes bon teint pourtant, MM. Dalimier et Argeliès (maire de Juvisy), convaincus de la responsabilité des gendarmes, interpellent le Gouvernement. Le débat parlementaire est fixé au 11 juin.

Dimanche 7 juin

     Un meeting est organisé par la Fédération du Bâtiment au Casino de la Belle Aimée à Villeneuve-Saint-Georges. Douze cents syndicalistes, églantine ou coquelicot à la boutonnière, y participent mais aussi des anarchistes parisiens.

     La petite bourgeoisie locale et les commerçants se terrent, apeurés, boutiques fermées. Les cuirassiers patrouillent dans les rues et les dragons protègent les usines. On enregistre quelques incidents et un affrontement violent est évité de justesse.

Lundi 8 au mercredi 10 juin

     Le calme règne dans les rues de Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges car les forces rassemblées dans la région s'élèvent à 150 gendarmes, dont 50 à cheval, 3 escadrons du 23ème Dragons, le 27ème Dragons au complet, des détachements du 1er et du 2ème Cuirassiers, sans oublier une centaine de Zouaves.

 

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Jeudi 11 juin

     Le Gouvernement est interpellé à la Chambre des Députés sur l'affaire, << la tuerie >> de Vigneux. Le débat est houleux. Dans sa réponse, Clémenceau charge lourdement le Maréchal des Logis Turc qui a perquisitionné sans mandat alors qu'il n'était plus en procédure de flagrant délit, qui sans motif a donné à ses hommes l'ordre d'armer leurs pistolets ou leurs carabines, et qui a laissé ou fait tirer alors que les gendarmes n'étaient pas en état de légitime défense.

     En somme, Clémenceau a trouvé << une tête de Turc >>. Il annonce la mise en place d'un Conseil militaire d'enquête et ne prononce aucune parole d'apaisement en direction des grévistes. La confiance lui est votée par 407 voix contre 59.

Le pourrissement

Témoignage d'un militaire      Pendant ce temps, à Vigneux, la situation s'enlise ( lire témoignage d'un militaire du 18ème Dragon qui écrit à un ami ). Le Sous-Préfet de Corbeil, M. Emery, tente d'organiser des négociations. Le 20 juin, un projet d'accord est conclu, mais finalement une seule entreprise, le chantier Pers, accepte de l'appliquer.

     Le journal conservateur Le Temps reconnaît la compétence de Jacques Ribault, dit le grand Jacques, secrétaire du Syndicat des Terrassiers, << un grand garçon calme, intelligent, réfléchi, sachant exactement ses responsabilités >>

     Cependant, celui-ci est souvent dépassé par une partie de ses troupes, enragée et violente. Un certain Ricordeau, délégué à la propagande du syndicat, militant anarchiste, déjà condamné pour délit de droit commun, se fait particulièrement remarquer par sa violence. Un nommé Métivier, secrétaire du Syndicat des Biscuits et responsable de la C.G.T., s'agite aussi beaucoup à Vigneux. On retrouvera ces noms.

     Le Préfet de Seine-&-Oise, M. Autrand, s'implique personnellement dans l'affaire mais les négociations échouent sur le problème de la reconnaissance, par les patrons, de la représentativité du Syndicat des Terrassiers.

     Le 21 juin, Ricordeau est arrêté par les gendarmes pour une affaire de vol, puis est curieusement relâché. Cet incident jette un trouble dans les instances dirigeantes de la C.G.T., mais Ricordeau est soutenu par la Fédération du Bâtiment qui veut à tout prix exploiter le crime de Vigneux pour organiser une grève générale. La tension est vive entre la C.G.T. qui sait que Clémenceau n'attend qu'une occasion favorable pour la démanteler, et la Fédération du Bâtiment dominée par des éléments à la recherche d'un conflit révolutionnaire.

     A Vigneux, la grève se poursuit, émaillée d'incidents mineurs, durant tout le mois de juillet.

Le rebondissement

 

Cliquez pour agrandir      En effet, le Conseil militaire d'enquête, constitué par Clémenceau, s'est prononcé négativement sur toutes les questions de responsabilité des gendarmes. Ceux-ci restent néanmoins inculpés par la Justice. Par quatre voix contre une, le Conseil a rejeté la mise à la retraite et se prononce contre la rétrogradation du Maréchal des Logis Turc.

     Le 27 juillet, les grévistes tiennent un meeting à Vigneux dans un hangar. A l'issue du meeting, Ricordeau entraîne un groupe d'ouvriers vers le chantier Lavollay, protégé par la troupe, où un << renard >> a été la veille victime d'un accident mortel.

     Ils sabotent et tentent de mettre le feu à un élévateur (machine composée de deux péniches, d'une grue et d'une drague). Cinq manifestants, dont Edouard Ricordeau, sont arrêtés par les gendarmes. Le fameux Lucien Métivier, présent sur les lieux, se met à haranguer les soldats et les incite à la mutinerie (comme ceux du 17 ème de Ligne à Béziers, l'année précédente). Il réussit à se faire coffrer lui aussi.

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     Avec cette arrestation des << camarades >> Ricordeau et Métivier, la Fédération du Bâtiment tient son motif de grève générale et le Comité Confédéral de la C.G.T. ne peut que s'incliner, malgré la réticence d'une partie de ses membres.

     La Fédération du Bâtiment lance donc un appel à un rassemblement des ouvriers de la région parisienne le 30 juillet à Vigneux. Le 27ème Dragons, caserné à Vincennes, est envoyé en renfort. Les acteurs du drame sont en place.

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