En retrait du boulevard Henri Barbusse et face aux tilleuls de l'Avenue Marcellin Berthelot, l'élégante façade d'un château du XVIIIème siècle s'abrite derrière une haute grille que le visiteur n'ose franchir. Parmi les Draveillois, beaucoup ignorent que ce château fut sous l'Ancien Régime celui du Seigneur de Draveil, avant de connaître au XXème siècle une exceptionnelle histoire, à l'origine de son nom actuel.
Il y a longtemps
Au Moyen-Âge, la plus grande partie des terres de Draveil appartenait à des communautés religieuses. Aux XVème et XVIème siècles, elles sont rachetées par des propriétaires privés qui constituent plusieurs grands domaines. Le plus important est appelé le fief de Bréban et permet à son propriétaire d'exercer les droits féodaux dans la paroisse de Draveil. Il est constitué des terres situées à proximité du village et de l'église, tandis que les prairies inondables du bord de Seine appartiennent à une autre propriété, dite Marcenou et aujourd'hui disparue.
Au XVIIIème siècle, le fief de Bréban va prendre le nom de château de Draveil lorsqu'un fermier général nommé Marin de la Haye en fait l'acquisition et reconstruit l'ensemble des bâtiments pour y établir une agréable résidence de campagne. Né en 1684, Marin de la Haye appartient à une famille de petits employés de la " Ferme" (c'est-à-dire la perception privatisée des taxes et impôts royaux) et, à la troisième génération, il accède avec fierté au statut envié de fermier général. Il en existe seulement quarante en France.
Marin
achète en 1720 le fief de Bréban et l'agrandit en 1726 lors
du démantèlement
du fief de Marcenou. Il entreprend immédiatement la construction
du château,
consacrant beaucoup d'argent à satisfaire ses goûts luxueux de parvenu.
Les paysans et vignerons de Draveil sont vivement impressionnés
par cette débauche de dépenses et ils en déduisent
que leur nouveau seigneur est un homme important. D'ailleurs, Marin de
La Haye fait bénéficier la paroisse
de ses libéralités, plus par souci de paraître que
par simple générosité.
Le
château est constitué d'un corps central assez imposant, flanqué de
deux ailes. Le grand salon donne à la fois sur une vaste Cour d'Honneur
du côté
du village et sur une longue esplanade descendant vers la Seine. Il est
magnifiquement décoré de grandes glaces, de corniches dorées et de cheminées
sculptées dans le plus pur style Louis XV. Le bâtiment central comporte
deux étages dont l'un mansardé et il est surmonté d'un fronton. Les toits
d'ardoises à la Mansart contribuent à la beauté de l'ensemble.
Chambre d'apparat, salle à manger, chapelle, rien ne manque pour
permettre au seigneur de Draveil de tenir son rang. Du balcon du salon,
on contemple
le parc de style Le Notre, terminé par deux pavillons en
rotonde portant le nom de Lanternes et dont l'une, maintes fois
restaurée,
existe toujours.
Trois grandes pièces d'eau, agrémentées
de cascades et de grottes en rocaille, complètent l'ensemble. Elles sont
alimentées par
les eaux de la forêt de Sénart qui s'écoulent encore
de nos jours sous l'Orée de Sénart et l'avenue Berthelot
par des canalisations en terre cuite tri-séculaires.
Marin de La Haye décède en octobre 1753, laissant le
domaine à sa veuve qui, jusqu'en 1776, veille à la préservation de ses droits
sur ses sujets de Draveil.
Draveil en Révolution
Au décès de Marie-Edme de Saint-Mars, veuve de Marin de La Haye, le domaine est acquis par un cousin éloigné, Jean Ducros de Belbeder, qui meurt le 08 juillet 1789, six jours avant la prise de la Bastille. Le château est alors acheté par un certain Jean-François Bérard, également acheteur de biens nationaux, qui concilie fort bien ses intérêts personnels et la manifestation d'un enthousiasme révolutionnaire. Il s'agit d'ailleurs d'une attitude répandue à Draveil où la municipalité organise de grandioses cérémonies républicaines en l'honneur de Marat ou Danton et, plus discrètement, accueille des émigrés revenus clandestinement en France.
La famille Bérard traverse donc la tourmente révolutionnaire sans dommage au point que Gabriel Bérard est nommé maire de Draveil au printemps 1800. Il ne le reste cependant que six mois car Bonaparte, Premier Consul, ne tarde pas à remettre de l'ordre dans l'administration communale et fait nommer maire de Draveil un brave cultivateur, Louis Beaupied, dont les convictions républicaines semblent plus affirmées.
Les Bérard se désintéressent alors de leur domaine de Draveil et le vendent à un bourgeois parisien du nom de Desmanots qui ne le conserve que trois ans. A partir du Premier Empire et pendant un siècle, des notables, pour certains célèbres, vont faire du château de Draveil leur résidence de campagne, à seulement cinq lieues de la capitale.